E LA FRABRIQUE DE HAUTE-LISSE


Tapisserie de haute lisse des Gobelins, attitude de l'ouvrier pour commencer l'ouvrage.
Planche de l'Encyclopédie. Collection Mme Vidal-Mégret. Paris.


Ce que c'est que la Haute-lisse
La Haute-lisse est, comme la Basse-lisse, une espèce de Tapisserie de soie & de laine, rehaussée d'or & d'argent, qui représente de grands & petits personnages, ou des païsages avec toutes sortes d'animaux. Elle est ansi nommée de la disposition des lisses, ou plutôt de la chaîne qui sert à la travailler, qui est tendue perpendiculairement de haut en bas; ce qui la distingue de la Basse-lisse, dont la chaîne est mise sur un métier placé horizontalement.

Son invention
On croit que l'invention de la Haute & Basse-lisse viennent du Levant. Les Anglois & les Flamands y ont excellé les premiers; & peut-être en ont-ils apporté l'art au retour des Croisades & des Guerres contre les Sarazins.

Temps auquel on en fait en France
Ce n'est guère que sur la fin du règne de Henri IV qu'on a vu sortir des mains des Ouvriers de France, des ouvrages de Haute & Basse-lisse qui eussent quelque beauté. L'établissement qui s'en fit à Paris dans le Fauxbourg St.Marcel en 1607 par l'Edit de ce Prince du mois de Janvier de la même année, perdit trop tôt son Protecteur pour se perfectionner.

Fabrique des Gobelins
On vit renaître sous le Ministère de Colbert. Ce Ministre fit expédier en 1664 des Lettres Patentes au Sr. Hinard pour l'établissement d'une Manufacture Royale de Tapisseries de Haute & Basse-lisse en la Ville de Bauvais en Picardie; & en 1667 fut établie aussi par Lettre l'atentes la Manufacture Royale des Gobelins, où ont été fabriquées depuis ces excellentes Tapisseries de Haute & Basse-lisse, qui ne cèdent à aucune des plus belles d'Angleterre & de Flandre pour les desseins, & qui les égalent presque pour la beauté de l'ouvrage, & pour la force & la sureté des teintures des soies & des laines avec lesquelles elle sont travaillées.

C'est de cette Manufacture des Gobelins que sont sortis tant d'excellens ouvrages en tout genre, qui servent d'ornemens à Versailles & à Marly, ces Maisons Royales qui font l'admiration de tous les étrangers.

Il ne se fait que des Basse-lisses en Flandre, mais elles sont pour la plupart d'une grande beauté. Bruxelles, Anvers, Oudenarde, Lille, Tournai, Bruges & Valenciennes sont les Villes Flamandes, où sont établies les meilleurs Fabriques de Tapisseries, ou plutôt ce sont presque les seules où il s'en fasse présentement dans les Païs-bas.

Métier de la Haute-lisse. Planche LII.
Les figures représentées dans le planche LII pourront donner quelque idée de la fabrique des Hautes-lisses, à l'aide de l'explication que nous allons joindre.
A.A. marquent l'Ourdissoir de la Chaîne.
1. Les coterets, gros madriers qui soutiennent les rouleaux.
2. Les rouleaux. Celui d'en-haut porte la chaîne, celui d'en-bas la Tapisserie qu'on roule, à mesure qu'elle avance. Les fils tiennent par leurs extrémités à un verdillon ou grosse baguette qu'on emboite dans une rainure faite à chaque rouleau. Le verdillon est la même chose que le Wich de la Basse-lisse.
3. Les deux tentoirs ou tentois, l'un qu'on nomme le grand tentoi pour tourner le rouleau d'en-haut, l'autre le petit tentoi qui sert à tourner le rouleau inférieur.
4. La perche de lisses qui traverse toute la chaîne, enfile toutes les lisses & les présente à à la main de l'Ouvrier. Ces lisses sont de petites cordelettes attachées par un nœud coulant à chaque fil de la chaîne, pour être remontées à mesure que la chaîne descend. Elles servent à tirer tel fil de la chaîne que l'Ouvrier veut amener. Il tient ce fil détaché des autres, & y fait passer une broche de telle trame & couleur qu'il juge à propos; puis il laisse pendre cette broche dont il empêche le fil de s'écouler, en y faisant un las coulant. Après avoir pris en devant un ou deux fils de la chaîne, il amène par une autre lisse les fils de la partie pposée. Il les fait toujours croiser par cette alternative pour saisir & arrêter la trame. Il est aidé dans cette distinction des fils des deux côtés, par le bâton de croisure qui est une longue baguette insérée entre les deux rangs de fils.
5. Longue trace de points, formée par les bouts des lisses qui saisissent les fils de la chaîne par un nœud coulant, & embrassent d'autre part la perche de lisse.
6. Le bâton de croisure.
7. La fléche. C'est une chaînette de fil dont chaque chaînon contient quatre ou cinq fils de la chaîne, & les arrête tous à l'aplonb.
8. Hardiller de fer pour soutenir la perche de lisse.
9. La broche, pour insérer le fil de trame qui est dévidé dessus.
10. Le peigne pour fraper l'ouvrage.
11. Le bout du verdillon emboité dans le rouleau.
12. La platine ou lanterne. Quand la chaîne est montée, le Dessinateur y trace devant & derrière avec un crayon noir les principaux contours des figures du tableau qu'il faut imiter. Le Haute-lissier ayant bonne provision de broches pleines de fils de toutes couleurs, se met à l'ouvrage en travaillant comme dans la Basse-lisse par l'envers: il a derrière lui son tableau qu'il regarde fréquemment: il peut de temps en temps voir l'effet de son travail du bon côté : ce que le Basse-lissier ne peut pas faire. Si quelques points altèrent les traits en prenant trop de place, il les presse & les met en ordre avec une aiguille de fer qui ne touche que l'endroit où il en est besoin. Le Haute-lissier suit le dessein, crayonné sur la chaîne. Le Basse-lissier suit sans crayon les traits du tableau qu'il a sous les doigts.
Il y a une troisième façon de travailler, qui est d'usage pour les Tapis de Turquie, de Perse, & de la Savonerie sous Chaillot.
C'est de partager le tableau ou carton qu'il faut imiter en nombre de petits quarrés longs, & d'en tracer un pareil nombre sur la chaîne. A mesure que l'Ouvrier arrive aux quarrés & aux points correspondants, il emploie les couleurs & les nuances convenables. Dans ces Tapis on laisse déborder tous les fils de trame. On les tranche ensuite de fort près pour en égaler les houpes : ce qui forme un velouté de très riches couleurs & de longue durée.



 La basse lisse      La tapisserie