E L'ART DE LA TEINTURE


Un teinturier de croimoisie, par Engelbrecht, avec carmesin, drap bleu, citron…
Musée des Arts décoratifs, Paris. Photo Bulloz.


Deux sortes de Teints.
L'Art de la Teinture, par raport aux étofes de Lainerie, se distingue en grand Teint, & en petit Teint.

Le grand Teint.
Le grand Teint est celui où l'on n'emploie que les meilleurs Drogues, & celles qui sont des couleurs assurées.

Le petit Teint.
Le petit Teint est celui où l'on ne se sert que de Drogues médiocres, & qui sont de fausses couleurs.

Deux sortes de Drogues.
Deux sortes de Drogues servent à la Teinture , savoir, les Drogues colorantes, & les Drogues non colorantes.

Les colorantes.
Les Drogues colorantes sont celles qui donnent la couleur aux étofes. Ces Drogues sont les Pastels, tant le Lauragais que l'Albigeois, le Vouède, l'Indigo, le Pastel d'écarlate, la Graine d'écarlate, les Cochenilles mesteque & tesquale, la Cochenille competiane ou silvestre, la Garance, la Bourre ou Poil de Chèvre, la Terramerita ou Curcuma, la Gaude, la Sariette, la Gonestrolle, & la suie de cheminée.

Les non colorantes.
Les Drogues non colorantes sont celles qui ne donnent point de couleur d'elles-mêmes, mais qui servent à disposer les étofes, pour attirer la couleur de la Drogue colorante, ou pour en rendre les couleurs plus belles, plus vives, & plus assurées. On compte parmi ces Drogues, l'Alun, le Tartre ou la Gravelle, l'Arsenic, le Réalgal, le Salpêtre, le Sel nitre, le Sel gemmele Sel Ammoniac, le Sel commun, le Sel minéralle Sel ou Cristal de tarte, l'Agaric, l'Esprit de vin, l'Urine, l'Etain, le Son, la Farine de poix ou de Froment, l'Amidon, la Chaux, les Cendres communes, les Cendres recuites, et les Cendres gravelées.

Drogues pour les Teintures du Grand & du Petit Teint.
Toutes ces Drogues, tant colorantes que non colorantes, ne sont employées que par les Teinturiers du grand Teint, à la reserve de la Gaude, dont ceux du petit Teint peuvent se servir pour l'adoucissage du noir, & le rabas des gris. Il y a d'autres Drogues qui sont communes aux uns & aux autres, & qui sont toutes peu ou beaucoup colorantes, comme la racine, l'écorce & la feuille de Noyer; la coque de Noix, la Garouille, la Noix de galle, le Sumac, le Rodoul, le Fouic, & la Couperose. Les Teinturiers de petit Teint peuvent employer du Bois d'Inde, de l'Orseille, & du Verdet; ce qui est défendu en France à ceux du grand Teint.

Drogues défendues en France.
Les Drogues défendues en France à tous les Teinturiers, tant du grand que du petit Teint, sont le Bois de Bresil, le Rocou, le Safran bâtard, le Tournesol, l'Orcanette, la Limaille de fer & de cuivre, les Moulées de Taillandiers, Couteliers & Emouleurs, le vieux Rodoul & le vieux Sumac, c'est à dire, qui ont déjà servi à passer des cuirs. Il y a certraines Drogues qu'on permet ou qu'on tolère dans certaines Provinces qui ne sauraient en avoir de meilleurs.

Les belles étoffes destinées au grand Teint.
Les meilleurs & les plus riches étofes sont destinées au grand Teint. Les moindres, c'est à dire, celles qui ne passent pas quarante sous l'aune en blanc, sont réservées au petit Teint.

Couleurs qui appartiennent au grand Teint.
Le bleu, le rouge, & le jaune, appartiennent par préférence au grand Teint. Le Fauve & le noir sont communs au grand & au petit Teint. Le noir se commence par les Teinturiers du grand Teint, & s'achève par ceux du petit; ce qui s'appelle Achevement.

Les Réglements pour les Teinturiers.
Le Réglement fait en France pour les Teinturiers en 1669, fixe les partages des étofes, & des Drogues pour le grand & le petit Teint.

Invention de la Teinturerie.
L'invention de la Teinturerie est très ancienne. La Pourpre Phéniciène a été longtemps la seule qui fût en estime. Ce ne fut que sous les successeurs d'Alexandre le Grand, que les Grecs inventèrent, ou du moins perfectionnèrent les Teintures en bleu, en verd, en jaune, & en tant d'autres couleurs qui se composent des couleurs matrices.

Le succès des Teinturiers est dû à Colbert.
On doit au célèbre Colbert, & aux Réglements faits sous son Ministère, les grands succès des Teintures Françaises, particulièrement de celles de Paris. c'est à son activité & à sa pénétration qu'on est redevable de ces ordonnances si sages qui assurent aux Grands des parures d'une couleur exquise, & aux Petits des étofes d'une couleur franche & durable. Il prévint les malversations parmi les Ouvriers, & n'envia point ces utiles connaissances aux Nations étrangères. Ses réglements rapprochent des lumières qui n'avaient encore été réunies nulle part. Les bonnes pratiques y sont exposées au plus grand jour; on n'y fait mystère de rien.

Ce grand ministre ne se contenta pas d'établir l'ordre dans une profession où régnait une liberté pernicieuse, en assignant de justes districts, & en prescrivant des opérations propres aux trois communautés de Teinturiers, savoir, aux Teinturiers du grand Teint, aux Teinturiers du petit Teint, & aux Teinturiers qui teignent les soies, les laines & les fils; ils les instruisit parfaitement de toutes les Drogues qui ne sont que préparatoires, & de celles qui sont réellement colorantes. Il leur marqua nettement celles qui leur étaient nécessaires à tous, celles qui leur étaient interdites à tous, & celles qui étaient particulières à chaque cuve, ou seulement d'usage dans tels & tels assortiments.

Après l'explication des couleurs matrices, ce Ministre descend au mélange des couleurs simples, dont se forment les couleurs composées, & aux diverses additions ou soustractions qui en varient les degrés. Pour assurer au public le jouissance d'une couleur stable, qui ne métamorphose pas en bleu une robe qu'on a prétendu porter noire, ou en violet celle qu'un avait cru rouge; il prescrit les spécifiques des divers débouillis, c'est-à-dire, les Drogues avec lesquelles il suffit de faire bouillir durant un demi-quart d'heure l'étofe, la soie, ou la laine teinte, pour mettre en évidence la bonté ou la fausseté des Ingrédiends, par l'altération ou par la persévérence de la couleur.



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