E L'ART DE PRÉPARER LES PEAUX


Le tanneur (Jan Luyken).

Effets des apprêts des Peaux.
On donne aux Peaux des Animaux divers apprêts, qui en rendent quelque-unes plus belles, quelque autres inaccessibles à l'eau, ou qui servent à les assouplir toutes, & à les pénétrer d'une humeur onctueuse, ensorte que l'eau n'y trouve plus d'entrée, & que la sécheresse ne puisse ensuite aussi aisément les recoquiller, ni les racornir.

Ouvriers qui les préparent.
L'art de préparer les Peaux a plusieurs branches, & se partage entre plusieurs sortes d'Ouvriers, qui sont le Pelletier, le Chamoiseur, le Mégissier, le Tanneur, le Hongréyeur, le Corroyeur, le Marroquinier, le Corroyeur, & le Parcheminier.

Comment se font les apprêts.
Les peaux qui passent par les mains de ces Ouvriers recoivent, presque toutes divers apprêts communs, qui consistent principalement à être dessaignées, pilonées ou brassées, mises en retraite, plainées, plamées, brisées ou écharnées, effleurées, quiossées, renflées, redressées ou plaquées, & fréquemment essorées.

Voici en peu de mots comment se font ces opérations. On dessaigne une peau en la plongeant souvent dans de l'eau. On la brasse en la tournant & retournant dans une cuve, ou en la foulant avec des pilons. On la plaine en la mettant dans le Plain, qui est une cuve de bois ou de pierre mastiquée en terre, qu'on emplit d'eau, & où l'on délaye de la chaux vive pour disposer le poil à tomber au moindre effort. On la met en retraite en la tirant sur la traite qui est le bord du Plain. On la plame en l'étendant sur le Chevalet, qui est une large pièce de bois arrondie & inclinée, pour y être pelée ou déchargée de son poil, avec un Couteau de fer sans tranchant, ou avec un simple cylindre de bois. On la brise sur le Chevalet, en y passant le Couteau tranchant du côté de la fleur, c'est-à-dire, du côté qui porte le poil, ou du côté de la chair, c'est-à-dire, du côté de la peau qui tenait immédiatement à la chair de l'Animal. La dernière de ces opérations se nomme aussi écharner, & la première effleurer. Elles tendent à retrancher les restes des fibres charnues, & tout ce qui peux causer la moindre inégalité. Un Peau quiossée est celle où l'on a fait passer la Pierre à aiguiser. Ce frotement, qui se fait avec vigueur sur le Chevalet, achève d'exprimer les restes de la chaux, & tout ce qui peut former quelque durillon. Redresser les Peaux, ou les plaquer, c'est les étendre fraîches ou demi-séchées, & les empiler les unes sur les autres; au lieu qu'on nomme Peaux en croute, quand on les laisse à part & parfaitement séchées. Les essorer, c'est les mettre à l'air sur des perches, ou d'autre façon.

Cela doit suffire pour donner quelque idée des principaux apprêts des cuirs. Mais il faut avouer que les quatre ou cinq principaux apprêts, quoiqu'à peu-près les mêmes, se trouvent si différents pour la manière de l'exécution, & pour la durée, que la science des menus détails n'en peut convenir qu'à celui qui veut être Ouvrier.

Fonctions des Pelletiers.
On donne le nom de Pelletiers à ceux qui préparent toutes sortes de Pelleteries, ou Peaux garnies de poil, & qui en font diverses sortes de fourures.

La Pelleterie comprend donc diverses sortes de Peaux garnies de poil, & propres à faire des fourrures, telles que sont les Peaux de Martres, d'Hermines, de Castors, de Loutres, de Tigres, de Petits-gris, de Fouines, d'Ours, de Loups, de Putois, de Chiens, de Chats, de Renards, de Lièvres, de Lapins, d'Agneaux, de Loup-cerviers, de Taupes, de Blaireaux, & de quelques autres.

Pelleteries les plus estimées.
Les Pelleteries les plus estimées, quoiqu'elles ne soient pas toujours les plus belles, nous viennent des Pays froids, particulièrement du Nord de l'Europe & de l'Amérique, comme de la Laponie, de la Moscovie, de la Suède, du Danemark & du Canada. Les Pays d'où l'on tire les plus précieuses, sont la Sibérie, la Nouvelle-Zamble, le Spitsberg, la Groenlande, le Labrador, & le Canada. La Sibérie passe, & est en effet, le vrai magasin des belles fourrures. Mais comme les Czars se sont attribués la propriété de tout ce que la Sibérie produit de précieux, les Marchands ne se pourvoient de ces marchandises qu'à Pétersbourg & à Archangel.

Pelleteries crues, sauvagines, ouvrées.
Les Pelleteries crues sont celles qui n'ont encore reçu aucune façon ni apprêt. Ce qu'on appelle Sauvagine, n'est que de la Pelleterie crue, ou non apprêtée, qui vient de la dépouille de plusieurs Animaux sauvages qui se trouvent communément en France. La Pelleterie ouvrée est celle qui a été façonnée, & mise en état d'être employée en Fourrures.

Le Pelletiers mettent en œuvre les Pelleteries les plus fines, en leur donnant divers apprêts, ou de simple conservation, ou qui servent à pénétrer, assouplir, & fortifier la Peau par le moyen de l'huile, non du côté du poil, qui est exactement mis à découvert dans l'opération, mais du côté du dos seulement ou de l'envers.

Fonctions du Mégissier.
Le Mégissier prépare & apprête les plus grosses Pelleteries. Il passe toute sorte de Cuirs en blanc, depuis le Cuir de Bœuf, jusqu'à la Peau d'Agneau. Il travaille principallement pour le service du Bourrelier, & ensuite du Gantier.

Du Chamoiseur.
Le Chamoiseur prépare avec de l'huile de Morue les Peaux du Chamois, qui est une Chèvre sauvage, celles des autres Chèvres, & même celles des Brebis, qu'il apprête en façon de Chamois.

Du Tanneur.
Le Tanneur apprête les Peaux de manière qu'elle soient inébranlables & impénétrables à l'eau, en les pénétrant avec l'écorce des jeunes Chènes, mises en poudre dans un moulin à tan.

Du Hongréyeur.
L'office du Hongréyeur consiste à fournir aux Bourelliers, aux Selliers, aux Boursiers, aux Ceinturiers, & à tous les Artisans qui emploient non seulement des Cuirs passés en blanc ou en mégie, non seulement des Cuirs passés en huile & en manière de Chamois, ou même des Cuirs tannés; mais encore des Peaux colorées en gris avec une couche d'encre, & passées au suif. Le nom & la méthode du Hongréyeur viennent de Hongrie.

Apprêts donnés par le Tanneur.
Le Tanneur met les Cuirs dans une fosse avec du Tan & de l'eau, après en avoir fait tomber le poil ou la bourre dans le plain, par le moyen de la chaux détrempée dans l'eau. Toutes les fois que les Tanneurs retirent les Cuirs du plain pour les mettre en retraite, il les rejettent ensuite dans un meilleur plain, c'est-à-dire, dans un plain dont la chaux a toute sa vivacité.

Les Tanneurs apprêtent les Cuirs des Vaches & des Chevaux, de même que ceux de Bœufs; mais les premiers ne restent dans le plain que quatre mois, tandis que les autres y séjournent un an ou dix-huit mois. Les Basanes qui se font avec des Peaux de Beliers, de Moutons ou de Brebis, sont aussi de la dépendance des Tanneurs. Les Tanneries s'établissent pour l'ordinaire le long des petites Rivières.

Office du Maroquinier.
On appelle Maroquinier celui qui travaille & passe en fumac ou en galle, la Peau des Boucs & des Chèvres, & qui lui met telle couleur qu'on veut. Il y a des Maroquins de diverses couleurs, & il en vient du Levant, de Barbarie, d'Espagne, de France, de Flandre, &c. On tire de Barbarie, & du Nord quantité de Peaux de Boucs & de Chèvres seches en poil, propres pour la fabrication des Maroquins.

Cordouans ou Maroquins.
Les Cordouans sont des espèces de Maroquins, mais ils sont apprêtés avec le Tan, au-lieu que les véritables Maroquins sont passés en fumac ou en galle. Il se fait à Smyrne un très grand négoce de Cordouans ou Maroquins de toutes les couleurs, qui y sont envoyés de Satalie.

Apprêts que donne le Corroyeur.
L'objet du Corroyeur est d'assouplir les Peaux de Vache, de Veaux, de Moutons, & quelquefois de Bœufs, qui doivent servir ç faire les quartiers & les empaignes des souliers, ou à faire les Impériales, & les côtés des Carosses; les Harnais & toutes les pièces qui, en résistant à l'eau & à des efforts continuels, doivent cepandant se prêter, soit pour prendre une belle forme, soit pour prendre une belle forme, soit pour faciliter le mouvement par leur obéissance.

Couleurs qu'on donne aux Cuirs.
Les couleurs ordinaires qu'on donne aux Cuirs qui se courroient, sont de cinq sortes, savoir, le noir, le blanc, le rouge, le jaune, et le vert.

Le Parcheminier & son office.
Le Parcheminier est l'ouvrier qui achete des Mégissiers le Parchemin brut, autrement dit en cosse ou en croute, qui ensuite le prépare d'une manière propre à recevoir l'écriture, en le raclant à sec, & plus à fond de chair & de fleur, en y faisant passer un fer fort affilé, opération qu'il appelle raturer. Il achève son travail en faisant repasser la Pierre-ponce sur la même Peau, & en abat avec recherche jusqu'aux plus petites inégalités

Le Parchemin.
Le Parchemin est fait de Peaux de Belier, de Mouton, de Brebis, & quelquefois de Chèvre. On s'en sert pour écrire , ou pour couvrir des Livres, des Registres, &c. Avant l'invention de l'Imprimerie, le commerce du Parchemin était très considérable, parce que tout les livres s'écrivaient à la main sur du Parchemin, ou sur du Velin.

Le Velin.
Le Velin est aussi une espèce de Parchemin, mais plus fin, plus blanc, plus fin, plus uni que le Parchemin ordinaire. On lui a donné ce nom, parce qu'il se fait de la Peau d'un Veau de lait, ou d'un Veau mort-né. Le Velin, de même que le Parchemin, est d'abord préparé par le Mégissier, & ensuit achevé par le Parcheminier.

Son usage.
On emploie le Velin à divers usages, & particulièrement à écrire des Livres de conséquence, à dessiner des Généalogies & des Plans, à peindre en miniature, à imprimer des imanges, à couvrir des Livres d'importance, &c. Les Flamands lui donnent le nom de Françin. Le Velin de Lille en Flandre, de Bayeux & de Coutance en Normandie, est le plus estimé.



 La teinture      Les papiers anciens