U PAPIER DES MODERNES, OU PAPIER DE CHIFON.


1. Triage (délissage) des chiffons; 2. Lavage & raffinage; 3. Fabrication du papier. (Larousse universel)

Papier de Chifon, ou des Modernes.
Le Papier des Modernes, qui a succedé au Papier de Coton dont nous avons parlé ci-dessus, se fait avec de vieux linges de Chanvre ou de Lin, qu'on appelle Chifons, & que les Manufacturiers nomment Drapeaux, Peilles, Chifes, Drilles ou Pates.

Epoque de son invention.
On ne sait pas bien l'époque de l'invention de ce Papier. On la peut faire remonter jusqu'au temps de St. Bernard, qui naquit l'an 1091, & mourut le 20 aout 1153. Mais on ne connaît aucun Manuscrit de Papier de Chifon, qui se sont écrit depuis St. Louis, Rois de France, né le 25 avril 1215, & mort le 25 aout 1270. Vers les treizième & quatorzième siècles, les Bibliothèques commencent à être fournies de cette sorte de Papier, & l'on en faisait un grand commerce.

Ses différentes qualités.
Ce Papier a différents degrés de finesse, de beauté, & de bonté. Le plus beau se fait avec les Chiffons les plus Grossiers. Voila comment cela s'exécute.

Comment il se fait.
On commence pas amasser les Drapeaux, ceux même dont on se délivre en les mettant sur le pavé des rues. On en fait amas. On les met au pourissoir, & après les avoir retirés de la cuve suffisament macérés par le travail de l'eau, on les fait passer dans la première pile, qui est un grand mortier garni d'une platine de fer, où ils sont déchiquetés par la chute alternative de plusieurs gros maillets ferrés. La pâte dégrossie de la sorte, est transportée dans la seconde pile, ou la pile à fleurer. Elle y est battue jusqu'à changer de couleur, & à montrer une première fleur de blanc. On l'en tire pour la séposer dans des baquets de bois où elle sèche à loisir. Ensuite elle est mise en reserve pour servir au besoin.

Quand on veut ouvrer la pâte, on lui donne sa denière façon sous les maillets de bois qui la brise encore dans un troizième mortier, nommée la pile à l'Ouvrier.

Delà elle passe dans une cuve d'eau nette & tiède, où elle est fortement brassée & remuée par reprise, afin que l'eau en détrempe également la matière dans toute la masse. En cet état la pâte est bonne à prendre : il ne s'agit plus que de la jetter en moule.

Moule qui forme la feuille.
Le moule qui doit former la feuille en lui donnant sa hauteur, sa largeur, & son épaisseur est un chassis de bois, fermé intérieurement par une suite de fils de léton qui sont bien tendus, serré l'un contre l'autre, & distingués en différentes portions égales, par autant de fils de laiton un peu plus gros, que l'on nomme Verjoles. Il s'élève sur cette petite claye, en deux endroits pour l'ordinaire, un lacis ou filigrame, soit de laiton, soit d'argent, pour imprimer sur la feuille qui s'y formera, la marque du Maître fabricant, & la marque servant à caractériser chaque espèce de papier. Celui-ci est à la cloche : celle-là est au raisin, ou à telle autre marque qu'on juge à propos.

La forme, soit petite, soit grande, telle que nous venons de la décrire, est plongée dans la cuve, d'où elle emporte ce qu'elle peut contenir de cette bouillie sur son fond.

Ce qui se trouve arrêté sur les bords du chassis s'en écoule par la simple inclinaison : de ce qui remplit le fond, tout le liquide s'échappe par de petits intervalles des fils de laitons; le plus épais qui est un amas de filaments jettés & compliqués en tout sens sous les marteaux, se trouvent pris & arrêté par le tamis.

Cette matière, qui était fluide un instant auparavant, a été disposée par sa fluidité même, à se précipiter dans un niveau parfait. Elle s'ettaisse quelque peu, & trouve ainsi son épaisseur dans l'exédent des bords du chassis sur le fond.

On ne peut plus la nommer ni lambeau, ni charpi. Le dessèchement subit en a fait un corps solide, un massif uni, un petit feutre bien lié, & parfaitement égal. C'est une feuille de papier.

Un Ouvrier, qu'on nomme le coucheur, la reçoit avec son cadre des mains du plongeur. Il renverse le chassis, & fait tomber la feuille sur un morceau de feutre ou d'étoffe étendu pour la recevoir. Il la couvre d'une autre pièce d'étoffe semblable. Le Plongeur cependant a déjà enfoncé un autre chassis dans la cuve, & en recevant le premier moule, il livre une seconde feuille au Coucheur, qui l'étend & la couvre. Ils continuent l'un à plonger, l'autre à coucher. Lorsque le tas ainsi feuilleté d'étoffe de papiers est parvenu à une hauteur qu'on se propose, il est mis sous la presse pour en exprimer & en résoudre en eau l'humidité dispersée dans le coprs de chaque feuille.

Comment on lève les feuilles.
Vient ensuite le Leveur qui lève les feuilles, & les étale à plat sur le Drappant. C'est une grande planche quarrée, où l'air les affermit par un nouveau degré de sécheresse. On les remet sous la presse, d'où elles sont tirées & de nouveau aérées sur des cordes.

Comment on empêche que le papier ne boive.
Le Salleron, Chef de la salle où l'on colle le papier, fait bouillir seize heures de suite une colle composée de rognures de cuir, & sur-tout de bouts & de raclures de parchemin, avec un peu d'Alun de glace: il la coule par une chauffe: il l'entretient claire & tiède dans une chaudière de cuivre.

Les feuilles y sont plongées, puis mises sous la presse qui force cette colle à s'insinuer dans les plus larges pores ou cavités du chifon, & jette hors du tas qu'elle foule, toute la colle superflue. L'effet de cette opération importante, est d'empêcher que le papier ne boive; défaut auquel il est sujet quand il est humecté de quelque liqueur & trop peu collé. l'action naturelle des liqueurs qui se touchent est de tendre à se méler par égale portion. D'où il suit que l'encre en arrivant sur un papier humide, cherche à s'étendre également à la ronde dans la liqueur ou l'humidité qu'elle y rencontre. Le mal est encore plus grand, quand il reste entre les fibres du chiffon des intervales plus ou moins profonds, où l'encre se dispersera si la colle ne les a bien comblés.

De la presse les feuilles collées passent à l'entonoir, & des cordes à l'étendoir elles reviennent encore sous la presse. On les trie ensuite par le rebut des défectueuses. On lisse les bonnes avec une pierre un peu frottée de graisse de mouton: on les plie en deux, & on les assemble au nombre de vingt-cinq qui sont la main. Toutes les mains empilées repassent sous la presse où elles sont ébarbées, par le retranchement de leurs extrémités les plus inégales. Quelquefois elles sont exactement rognées, comme il se pratique pour le Papier à Lettres, & pour le papier de compte.

Ce que c'est qu'une Rame de Papier.
Vingt de ces mains lises ensemble, empaquetées de gros Papier, & ficellées, font ce qu'on appelle une Rame. Le papier mis en Rames passe une sixième & dernière fois sous la presse, & alors il a toutes les façons.

Papier de France.
Le Papier de France se distingue en trois sortes, qui sont les grandes sortes, les moyennes & les petites, lesquelles prennent leurs noms des marques qu'ils ont. Outre ces Papiers, qui sont tous plus ou moins blancs, & qui servent tous à l'écriture & à l'impression, il s'en fait encore quantité d'autres de toutes couleurs, soit collés, soit sans colle, & qui servent à divers usages.

Produit d'un Moulin à Papier.
On pourra juger du produit d'un Moulin à Papierà l'aide des remarques suivantes, tirées d'un Mémoire sur les Papiers de l'Angoumois.

Un Moulin qui n'a qu'une cuve, fait par jour 9 à 10 rames de papier, du poids de 12 à 13 livres la rame. Mais lorsqu'il travaille également tous les jours de l'année, il en fait plus de 2500 rames par an, parce qu'alors il travaille les Fêtes & les Dimanches, à cause que la peille étant prête, il la faut employer actuellement, ou qu'autremant elle se gâte. Pour entretenir un Moulin d'une seule cuve, il faut par an environ 200 charges de pelles, ou vieux linges, la charge du poids de 300 livres; & à proportion, s'il y a une cuve, en sorte que les 38 Moulins qui travaillaient dans l'Angoumois, lorsque ce Mémoire a été dressé, en dépensaient par an plus de 8000 charges.

Il faut aussi pour le même nombre de 38 Moulins, 2000 charges de rognures de cuirs, pour faire la colle nécessaire pour encoller le papier qui s'y fabrique, la charge pareillement du poids de 300 livres.

De ces vieux linges & rognures de cuirs qui se consomment dans les Moulins d'Angoumois, il en vient ordinairement le tiers par les Bureaux de Poitou, & le reste des provinces, où les Bureaux des cinq grosses Fermes ne sont pas établi. Il y avait autrefois en Angoumois jusqu'à 55 Moulins à Papier actuellement travaillant, dont, il y en avait 18 à deux cuves, ce qui faisait en tout 73 cuves. Dans le temps que ce Mémoire a été dressé, les Moulins étaient réduits à 38, & il y a apparence que depuis il en est tombé encore quelques-uns, ou que parmi ceux qui avaient deux cuves, il y en a eu de reduits à une seule.

Papier marbré.
Ce qu'on appelle Papier marbré est un Papier peint de diverses couleurs, qui se fait en appliquant une feuille de Papier sur de l'eau préparée pour cela, où l'on a jetté ensuite plusieurs couleurs détrempées avec de l'huile ou de fiel de bœuf. On se sert d'une espèce de Peigne pour donner aux couleurs les desseins qu'on veut, comme des ondes, des panaches, des fleurs, &c. Il se consomme beaucoup de Papier marbré pour la reliure des Livres, aussi bien qu'à couvrir des boîtes de cartes, & autres semblables ouvrages. Il se fait aussi du Papier doré & argenté.

Papier brouillard.
Le Papier brouillard est du Papier qui n'est point collé, & qui s'imbibe facilement.

Mémoire sur le Papier.
Nous avons un très bon Mémoire sur les différentes matières dont on peux faire du Papier, tirées principalement des fibres ligneuses des Arbres & des Plantes. On peux y avoir recours.

Papier des Chinois.
Depuis un grand nombre de siècles les Chinois fabriquent leur Papier à-peu-près comme on fabrique celui d'Europe, à la reserve qu'ils se font de Chifons ou vieux drapeaux de Soie, & que celui d'Europe n'est que de Chanvre & de Lin.



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