E L'ENCRE, DES PLUMES, DES DIFFÉRENTES MANIÈRES D'ÉCRIRE DES MODERNES, & DE L'ART DE BIEN FORMER L'ÉCRITURE COURANTE.


Quelques genres d'écriture. (Larousse universel)

Tout le monde sait ce que c'est que de l'encre, on en connait la grande utilité, & cependant quantité de personnes ignorent parfaitement comment elle se fait. On ne sera donc pas faché de trouver ici la bonne manière de la préparer.

Quatre méthodes pour faire de l'Encre.
Il y quatre méthodes très simples, très faciles, & très promptes, pour quatre différentes sortes d'Encres ordinaires, & à peu de frais.

Première méthode.
1. L'encre ordinaire se peut faire de la manière suivante: Prenez 30 onces de vin blanc, du meilleur & du plus fort: 6 onc. de noix de galles, petites & noires, ridées ou épineuses; concassez-les & ne les pilez point; mettez le tout dans une bouteille, qui ne soit pleine qu'aux 2/3, bouchez-la bien avec une vessie de porc, & mettez-la infuser dans un lieu chaud en Hiver, & en Eté au Soleil, pendant 12 à 15 jours; ayez soin de remuer le vase qui la contient 4 ou 5 fois par jour, excepté le dernier, auquel il faut transvaser le clair de la bouteille au travers d'un linge dans une autre bouteille, prenant garde de ne pas mêler le marc avec le clair. Dans la liqueur qu'on aura coulée on ajoutera 2 onc. du meilleur Vitriol Romain, après l'avoir réduit en poudre subtile: on y ajoutera encore 2 onc. de Gomme Arabique bien nette, dure & cassante; mais avant que de jetter cette Gomme dans la liqueur, il faut l'avoir fait dissoudre dans une suffisante quantité de vin blanc, ensorte qu'elle soit claire comme de la Térébentine de Venise, parce qu'étant ainsi dissoute, elle s'incorporera mieux avec la liqueur. Cette opération bien faite donnera au bout d'une quinzaine de jours l'Encre la plus fine que l'on puisse composer, qui ne se moisira point pendant les chaleurs, & qui ne s'épaissira point.

Seconde méthode.
2. Pour faire de l'Encre sur le champ, prenez 2 bouteilles de bon Vin blanc, jettez-y 6 onc. de Galles concassées, faites-le bouillir & réduire à la moitié: à mesure que cela bout, il faut écumer. Cela fait, il ajoutez-y 2 onc. de Vitriol épuré, & une once de Gomme Arabique, bien nette: après quoi coulez le tout au travers d'un linge, & votre Encre sera faite.

Troisième méthode.
3. Si l'on veut faire de l'Encre portative, il faut prendre partie égales de Noix de galles & de Vitrol, les réduire en poudre avec un peu de Gomme Arabique, & un peu de Sandarac. Faites du tout une poudre, couvrez-en le papier sur lequel vous voulez écrire, frottez-le avec le doigt, écrivez avec de l'eau, & l'écriture paraitra; ce qui est commode en voyage.

4. Voici encore la manière de faire une poudre pour composer de l'Encre quand on veut. Prenez 10 onc. de Noix de galles, 3 onc. de Vitriol Romain, 2 onc. d'Alun de roche, 2 onc. de Gomme Arabique. Mettez le tout en poudre subtilisée; & quand vous voudrez de l'Encre, vous en mettrez dans une tasse ou un verre plein de vin blanc, jusqu'à-ce que la liqueur soit suffisamment teinte.

Comment on empêche que l'Encre ne se gele.
Pour empêcher que l'Encre ne gêle en hiver, mettez-y de l'eau-de-vie; & dans toutes les Encres, il faut mettre un morceau de Sucre candi.

Encre de la Chine & son usage.
L'Encre de la Chine est d'une espèce de noir de fumée, réduit en petites tablettes, ordinairement quarrées, un peu plus longues que larges, de 2 à 3 lignes d'épaisseur, dont les chinois se servent pour écrire, après l'avoir détrempée avec de l'eau, & que l'on emploie en France & ailleurs pour dessiner, ou pour lever des plans, des desseins, &c.

La meilleure sorte.
Les Noirs de fumées, dont les Chinois font leur Encre, sont de plusieurs sortes, suivant qu'il plaît aux ouvriers; mais la meilleur se fait avec le Noir de fumée de graisse de Cochon brulé à la lampe, auquel on mêle un peu d'Huile, pour rendre l'Encre plus douce, & quelques odeurs agréables, pour empêcher la mauvaise senteur de la graisse. Quand ce Noir est mis en consistence de pâte, on le dresse dans des moules de bois, gravés avec tant d'art, que les plus habiles Européens ne pourraient mieux faire même sur le métal. Les figures les plus ordinaires dont ils embellissent leurs petites tablettes d'Encre, sont des Dragons, des Fleurs, des Oiseaux, & quelques caractères de leur écriture: quelquefois ils y ajoutent un peu de dorure. Cette Encre nouvellement faite est très pesante; mais en séchant, elle diminue au moins de moitié.

Sa contrefaçon. Moyen de la reconnaître.
On contrefait l'Encre de la Chine en France, & en Hollande. Outre qu'on peut reconnaître la véritable Encre de Chine d'avec celle qui ne l'est pas, par la forme des tablettes, & par les figures imprimées, on la distingue mieux par la couleur & l'odeur; la véritable étant noire, & d'une odeur agréable; & l'autre seulement grisatre, & d'une odeur plus mauvaise que bonne. Ces différences suffisent pour en faire le dicernement. Ainsi l'on voit bien qu'il faut choisir cette Encre vraie de la Chine, c'est-à-dire, très noire, d'une odeur agréable, & en tablettes presque quarrées, & peu épaisses. L'Encre de la Chine, soit véritable, ou contrefaite, fait une portion du négoce des Marchands Epiciers-Droguistes de Paris: quelques Merciers en vendent aussi.

Encre d'imprimerie.
Encore une autre sorte d'Encre, c'est celle qu'on nomme Encre d'Imprimeur, ou Encre d'Imprimerie, parce qu'on s'en sert à imprimer des Livres.

Plumes à écrire.
Les Plumes dont on se sert pour l'écriture à la main, sont des Plumes d'Oyes, de Cygnes, de Corbeaux, & de quelques autres Oiseaux, mais particulierement d'Oyes, qu'on ouvre & taille d'une certaine manière.
Ces Plumes d'Oyes, qui sont presque les seules qu'on emploie pour cet usage, se tirent des ailes de l'Oiseau ordinairement aux mois de Mars & de Septembre. Il y en a de deux sortes, les grosses Plumes, & les bouts d'aile. Elles se vendent par les Merciers Papetiers, au millier, au cent, au quarteron, après les avoir préparées & affermies en les passant légerement sous la cendre chaude, & les avoir mises en paquet qui sont liés ordinairement en trois endroits. On en vend aussi de toutes taillées, pour la commodité de ceux qui ne savent pas comment on les taille.

Avec quoi on peut encore écrire.
Outre cette forme d'écriture courante, que l'on forme à l'aide de la Plume & de l'Encre, on peut encore écrire avec des caractères d'étain, de plomb, ou le léton, qui étant percés & appliqués tout-à-tour sur le Papier, donnent le moyen d'y tracer avec un pinceau des figures conformes à la pièce de métal, & de telle couleur qu'on veut. La pratique de cette écriture est longue, mais elle a cela d'estimable, qu'elle peut mettre dans l'éxécution une très grande propreté. Cette méthode était autrefois spécialement d'usage dans les titres des Livres & pour les lettres initiales.

Gravure en lettres.
On emploie encore, pour écrire, des Planches de bois, ou des lames de cuivre, sur lesquelles on trace des lettres ou telles figures qu'on juge à propos, ce qui rentre dans l'invention de la gravure. Cette écriture est fort ancienne; mais on ne s'est avisé que fort tard d'y ajouter le concours de l'Encre & de la Presse. On lui donne le nom de gravure en lettres.

Ecriture la plus utile.
L'écriture qui réunit & surpasse l'utilité des précédentes, c'est celle qui s'exécute avec de petites lames de métal, terminées par des lettres & autres marques saillantes. On donne à cette dernière manière d'écrire le nom d'Imprimerie; & nous en parlerons dans l'article suivant.

L'Art d'écrire.
Je finirai cet article par quelques remarques sur l'Art d'écrire, c'est-à-dire, sur cet Art qui nous apprend à former d'une manière aisée, & comme il faut, cette sorte d'écriture, qu'on appelle ordinairement écriture courante, & dont j'ai parlé ci-dessus.

Ce que c'est qu'écrire.
Suivant cette méthode, j'appelle écrire, peindre avec la Plume, & avec de l'Encre, des caractères propres à faire connaître sa pensée, ou à conserver la mémoire de ce qu'on ne veut pas oublier.

Principes aisés de l'Art d'écrire.
Cet Art de bien écrire se réduit à très peu de chose. Au lieu de débuter par apprendre à former les différents caractères dont l'écriture est composée, il y a une voie plus courte, & généralement plus sûre, qui est d'exercer sa main plusieurs mois de suite aux trois traits qui sont les éléments de tous les caractères imaginables.

Ces trois traits sont le plein, le délié, & le mixte. L'exécution peut être brillante ou supportable. L'exécution brillante provient d'une disposition heureuse, & d'une grande fléxibilité dans les articulations des doigts. La réussite passable & infaillible dépend de la tenue & de la taille de la Plume, dont ces traits élémentaires sont les effets. Dès que le poignet & les doigts sont façonnés à ce léger exercice, tout est fait. Après deux ou trois mois, souvent après moins de temps, & sans avoir jusque-là formé aucunes lettes, on est agréablement surpris de voir la main se prêter tout d'un coup à tous les caractères qu'on voudra lui demander, parce que tous sont composés des trois traits qu'elle s'est rendus familliers.



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