E LA GRAVURE.


La gravure (Jan Luyken).

Ce que c'est que la Gravure.
La Gravure est l'Art de tailler & d'inciser les Pierres précieuses, les Métaux, les Marbres, les Bois, & autres semblables matières, & d'y représenter avec les Ciseaux, les Ciselets, les Burins, l'Eau-forte, &c. diverses sortes de dessins & de figures.

Ses avantages.
L'avantage de ce bel Art consiste à conserver à la Prospérité les plus beaux Ouvrages des Peintres, des Sculpteurs, des Architectes, aussi bien que de quantité de machines & d'inventions utiles pour perfectionner les Arts & les Sciences.

Par qui inventée.
On en attribue l'invention à un Orfèvre de Florence, nommé Maso Finiguerra, qui vivait vers le milieu du quinzième siècle. Mais il est certain que ce furent Albert Durer & Lucas qui le perfectionnèrent, & qui les premiers donnèrent des Ouvrages de Gravure de goût & de bonne manière. Durer &tait de Nuremberg, & Père de cet habile Peintre qui s'appellait aussi Albert, & qui a fleuri dans le même temps. Lucas &tait de Leyde, & mourut en 1533.

La Gravure sur Cuivre.
La Gravure sur le Cuivre, soit au Burin, soit à l'Eau-forte, est presque la seule dont se servent présentement pour les grands Ouvrages. Celle de bois, autrefois si estimée, n'est plus guère d'usage que pour les petits Ouvrages, & encore de peu de conséquences, ou pour de très grands, comme sont les Tapisseries de papier & quelques autres.

La Gravure sur Pierres Précieuses.
La Gravure sur Pierres Précieuses est un de ces Art où les Anciens ont le plus excellé. Cet Art ayant été enseveli dans la ruine de l'Empire Romain, reparut en Italie dans le commencement du XVe siècle.

Instruments de la Gravure.
Pour graver sur les Pierres précieuses on se sert du Diamant ou de l'Emeril, & d'un Tour semblable à celui des Potiers d'Etain, si ce sont de grands Ouvrages; ou seulement du Touret, si ce sont des Cachets & de petites Pierres.

Les Instruments qui usent les endroits de la Pierre qui doivent être creux, & qui donnent les contours aux autres qui doivent être en relief, sont des Bouts, des Bouterolles, des Pointes, des Charbuères & des scies, tous de fer ou de cuivre, qui tournant avec vitesse en même temps que l'Arbre du Tour ou Touret où ils sont attachés, enlèvent ou usent les endroits de la Pierre qui leur sont présentés par le Graveur.

Gravure la plus facile.
Les Gravures en relief sont les plus faciles, parce que l'Ouvrier voit son Ouvrage, au-lieu que dans celles en creux il faut qu'il ait continuellement recours ç des empreintes, ou sur de la cire, ou sur de la pâte.

Le Poli des Pierres.
Lorsque les Pierres sont gravées, on les polit avec du Tripoli sur des roues de brosses faites de poils de Cochon.

La Gravure sur Acier.
La Gravure sur Acier comprend celle des Poinçons, des Matrices & des Quarrés propres à frapper & à fabriquer toutes sortes de Monnaies, de Médailles & de Jettons.

Comment elle se fait.
L'Ouvrage des Graveurs en Acier se commence ordinairement par les Poinçons qui sont en relief, & qui servent à faire les creux des Matrices & des Quarrés. Quelquefois néanmoins on travaille d'abord en creux, mais seulement quand ce qu'on veut graver a peu de profondeur.

D'abord le Graveur dessine ses figures, ensuite il les modèle & les ébauche en cire blanche, suivant la grandeur & la profondeur qu'il veut donner à son Ouvrage; & c'est d'après cette cire que se grave le Poinçon.

Ce Poinçon est un morceau d'Acier, ou de Fer bien acéré, sur lequel, avant que de l'avoir trempé, on cisèle en relief la figure, qu'on veut graver & frapper en creux sur la Matrice ou Quarré.

Les Outils dont on se sert pour cette Gravure, sont d'acier. Tous ces Outils se trempent.

La Matrice, qu'on nomme aussi Quarré, est un morceau de bon Acier de forme cubique, sur lequel on grave en creux le relief du Poinçon. Il est appellé Matrice, parce que c'est dans ce creux que les Monnaies & les Médailles paraissent être engendrées.

La Gravure des Monnaies, Médailles, Jettons.
La Gravure des Monnaies, & celle des Médailles & des Jettons, se font de la même manière & avec les mêmes instruments; toute la différence ne consistait qu'au plus & au moins de relief qu'on leur donne. Le relief des Monnaies est moindre que celui des Médailles; & le relief des Jettons est encore moindre que celui des Monnaies.

Fabrique ancienne des Monnaies.
La fabrique ancienne des Monnaies était différente de ce qu'elle est aujourd'hui. On tranchait une lame de métal en plusieurs petits carreaux, dont on abattait les carnes avec des cisailles. Après avoir rendu ces pièces conformes en poids à celle qui servait d'étalon ou de règle pour toutes les autres, on reprenait chaque pièce pour l'arrondir à petit coup de marteau. On les gravait ensuite.

Machines pour la fabrication moderne des monnaies.
La fabrication moderne des monnaies est beaucoup plus parfaite que celle des Anciens. On emploie pour cette fabrique diverse Machines, dont les principales sont le Laminoir, la Machine à marquer ou écrire sur la tranche des Monnaies, le Moulin ou Balancier, & la Machine pour faire l'essai des Monnaies.

Le Laminoir.
Après avoir tiré les lames de métal des moules où on les jette, on ne les bat plus comme autrefois sur l'enclume, mais on les passe & repasse entre les différents rouleaux ou cylindres du Laminoir, lesquels étant serrés par degrés, amènent promptement la lame à une épaisseur juste & uniforme. Au lieu de partager, comme on faisait, cette lame par petits careaux, on y tranche net, à l'aide d'un coupoir d'acier bien aceré, autant de flans qu'elle en peut contenir. Après avoir été comparés & pesés contre des Dénéraux, ou pièces d'étalonage, & conséquemment limés, écouennés, ou rapés, pour en ôter le trop, puis bouillis & blanchis, ces flans arrivent d'atelier en atelier à la Machine suivante, qui les marque sur la tranche, & ensuite au Molin ou Balancier.

Machine à marquer ou écrire sur la tranche des Monnaies.
Les principales pièces de la Machine à marquer ou écrire sur la tranche des Monnaies sont deux lames d'acier épaisses d'environ une ligne; la moitié de la légende ou du Cordonnet est gravé sur l'épaisseur de l'une des lames, & l'autre moitié sur l'épaisseur de l'autre, & ces deux lames sont droites, quoique les flans qui en sont marqués soient ronds.

Quand on veut marquer un flan, on le met entre les lames, en telle manière que les deux lames étant chacune à plat sur une plaque de cuivre, qui est attachée à une table de bois fort épais, & le flan étant ainsi à plat sur la même plaque, la tranche du flan touche de chaque côté les deux lames par leur épaisseur. l'une de ces deux lames est ferme par le moyen de plusieurs vis, & l'autre lame coule par le moyen d'une roue dentée ou à pignon, qui engrène dans les dents qui sont sur la surface de la lame. Cette lame coulante fait tourner le flan de manière que, quand il a fait le tour, il se trouve marqué sur la tranche. Cette Machine est si agile, qu'un seul homme peut marquer vingt mille flans en un jour.

Le Balancier pour monoyer.
Pour monoyer les flans tant d'or que d'argent, ou de cuivre, on se sert d'un Balancier, auquel les quarrés à monoyer, vulgairement appellés coins, sont attachés. Celui de l'effigie en dessous est dans une boîte quarrée, garnie de vis & d'ecroues, pour le serrer & tenir en état; l'autre est en dessus dans une pareille boîte, aussi garnie de vis & d'écroues, pour retenir le quarré d'effigie qui est dormant. On tourne à l'instant la barre du Balancier par ses cordes, ce qui fait tourner la vis qui y est enclavée. La vis entre dans l'ecroue, qui est au cœur du Balancier, & la barre fait ainsi tourner la vis avec tant de force, que, poussant l'autre quarré sur celui de l'effigie, le flan violement pressé, des deux quarrés, en reçoit les empreintes d'un seul coup en un moment.

Machine pour faire l'essai des Monnaies.
Pour faire l'essai des Monnaies on se sert d'une machine. L'Anneau est attaché au bas de la machine, dont le poids est déterminé, en sorte qu'il ne puisse faire enfoncer dans l'eau qu'une partie de la boule. On compare la pièce de Monnaie suspecte avec une autre pièce de même poids, mais qui soit de bon aloi, en les mettant l'une après l'autre sur l'anneau; car, si la pièce est sauffe, la Machine n'enfoncera pas si avant. Pour que cette Machine puisse servir pour différentes monnaies, il faut qu'elle soit construite de manière, qu'en mettant sur l'Anneau quelque pièce de peu de poids, la boule ne s'enfonce pas entierement. En ce cas, on ajoute à la pièce de monnaie une plaque de cuivre ou de plomb, dont le poids fasse descendre la Machine, de sorte que la surface de l'eau réponde à peu près au milieu des divisions.

Au défaut d'une pièce de monnaie de bon alloi, précisément de même poids que la pièce suspecte, on peut se servir de la méthode suivante. Il faut placer sur l'Anneau la pièce de Monnaiequi n'est pas suspecte, & marquer jusqu'où enfonce la Machine; il faut mettre ensuite dans le même Anneau une autre pièce de Monnaie de la même espèce, mais dont le poids diffère tant soit peu de celui de la première, par exemple , d'un grain, & marquer la différence qu'il y a entre les deux immersions. Supposons que cette différence soit d'une division & demie. Supposons encore que l'on sache que la pièce de Monnaie suspecte diffère de deux grains de la première de celle qu'on a mise sur l'Anneau; on insérera que l'immersion devra différer aussi de trois divisions, & on saura jusqu'où la Machine doit enfoncer, quand la pièce de Monnaie suspecte est placée sur l'Anneau. Si la Machine enfonce moins, ce sera un signe que la pièce est fausse.

Les Gravures en bois.
La méthode de graver en bois est le contre-pied de la manière de graver sur cuivre. En bois, tous les traits qui doivent recevoir l'encre, & paraître à l'impression, sont en saillie & de relief, tout ce qui doit être blanc demeurant ciselé & abattu, ou enfoncé, pour ne point perdre l'encre. En cuivre, au contraire, tout ce qui doit prendre l'encre à l'impression est enfoncé, & toutes les surfaces qui doivent demeurer blanches, ou sans trait, restent plus élevées.

On se sert ordinairement pour la Gravure en bois, du bois de Poirier ou de Buis. La Planche sur laquelle on veut graver, doit être bien sèche, sans nœuds, & parfaitement unie du côté qu'on veut travailler.

Le Graveur, s'il fait le dessin, commence par tracer à la plume sur cette Planche, celui qu'il y veut représenter; & ensuite à l'aide d'un Canif, de petits Ciselets, & de Gouges en bois, il achève son ouvrage, auquel il donne autant de relief qu'il juge à propos.

Son usage.
On se sert de la Gravure en bois pour les vignettes, les Culs-de-lampe, & les lettres initiales. On s'en sert aussi pour représenter diverse machines, outils, instruments, &c. lorqu'on veut épargner la dépense des Planches en cuivre.

La Gravure en Taille-douce.
La Gravure en Taille-douce est celle qui s'exécute sur le Cuivre, soit avec le Burin, soit avec l'Eau-forte, & qui y représente divers sujets d'histoire, des Paysages, des Grotesques, des Fleurs, &c.

La Gravure en Cuivre au Burin.
La Gravure en Cuivre au Burin n'a pas besoin ni de beaucoup d'aprêt ni de beaucoup d'outils.

Instruments pour cette Gravure.
Les Instruments dont on se sert, sont une Planche de cuivre rouge poli au brunissoir; un Coussinet de cuir, rempli de son ou de laine, pour soutenir la Planche; une Aiguille ou Pointe d'acier pour tracer; divers Burins pour inciser le cuivre; une Echope, qui est une espèce d'Aiguille, pour élargir les traits sans en caver le milieu; un Brunissoir, qui est une baguette de fer finissant en un cœur allongé, pour être appuyé sur le cuivre, quand il faut effacer quelques raies; un Ebardoir, qui est un autre morceau de fer en pyramide, ou disposé à trois pans dans sa longueur & finissant en pointe, pour emporter les filets & les dentelures du cuivre, que la vive arrête du Burin peut laisser sur son passage; enfin, une Pierre à huile ou à aiguiser pour affuter les Burins.

Comment elle s'exécute.
Le travail de cette Gravure en cuivre au Burin n'est pas moins simple que les Instruments qu'on y emploie. Il se réduit aux trois opérations suivantes, calquer, ébaucher, & finir.

Ses trois opérations.
I. Après avoir légerement enduit de cire blanche, le cuivre qu'on veut employer, & avoir rougi de Sangine tout le dessous du dessin ou de l'Estampe qu'on veut imiter, ou calque, c'est-à-dire, que ce papier figuré d'un côté & rougi de l'autre, était arrêté sur le cuivre, on passe une pointe arrondie sur tous les traits de la figure, ce qui applique sur la cire autant de petits traits rouges composés de parcelles que la pression a détachées de la sangine, & que la cire a saisies par sa tenacité.

2. On appelle ébaucher, lorsqu'avec une pointe aiguisée on tranche la cire dans tous les traits marqués, & qu'on appuie jusqu'à effleurer le cuivre.

3. Finir, c'est élargir les traits avec le burin quarré, & les croiser à discrétion avec le burin lozangé. C'est dans cette troisième opération que consiste la grande habilité du Graveur.

Il faut encore moins d'instruments pour la Gravure à l'eau-forte que pour la Gravure au Burin. Des pointes, des Echopes, une Pierre à aiguiser, une Brosse ou gros Pinceau, sont les seuls instruments qu'on y emploie.

La planche de cuivre pour graver à l'Eau-forte n'est pas différente de celle dont on se sert pour graver au Burin; mais elle doit être & plus polie & plus nette.

L'enduit du cuivre est différent. Au lieu de cire blanche, on emploie un Vernis en boule, composé de Poix ou de Térébentine, de Colophone ou Raifine du Levant, & d'huile de noix. Après avoir bruni & bien chauffé le cuivre, on y fait fondrele Vernis, de manière qu'il s'en étende sur tout un côté une couche légère & égale, à l'aide d'un Coussinet de coton & de tafetas dont on le tampone.

Cette feuille de cuivre étant suspendue horizontalement, & la face vernissée regardant la terre, on la noircit en entier, en y distribuant également l'épaisse fumée de plusieurs brins de grosses bougies filées. Après ces préparatifs on calque le dessin comme à la Gravure au Burin. Avec des Pointes arrondies & des Echopes de différentes grosseurs on évide la cire de tous les traits, & on y met le cuivre à nu.

Après avoir ensuite élevé sur le bord de cette feuille un petit rempart de Cire rouge à sceller, qui forme un bassin propre à recevoir une liqueur, on y verse une raisonnable quantité d'Eau-forte, qu'on modère en certains cas par le mélange de l'Eau commune.

L'Eau-forte a la propriété de ronger ou de dissoudre la plupart des métaux, & le cuivre surtout, mais elle n'a point de prise sur ce qui est gras & onctueux. Ainsi la Gravure avance, tandis que l'Ouvrier vaque à d'autres affaires. Cependant de temps en temps il visite tout, & ôte l'Eau-forte à temps.

Après avoir fait fondre sur un feu doux tout le Vernis, & essuié la Planche, il en étudie & recherche toutes les tailles, d'abord avec l'Ebardoir, puis avec l'Echope & le Burin : il met partout l'élargissement, la profondeur, la netteté, l'arrondissement, les coups de force, & tous les adoucissements qui peuvent réparer les infidélités de l'Eau-forte.

Ses avantages.
La Gravure à l'Eau-forte a des avantages qui lui font donner le préférence à la Gravure au Burin. L'air & tous les météores, la terre & ses inégalités, la verdure des prairies & les feuillages des forêts, &c. sont chargés d'un si prodigieux détail de menus traits, que le Burin n'y peut suffire; au lieu que l'Eau-forte en facilite la représentation par les bizareries mêmes de ses morsures.

Ses défauts.
Les défauts de l'Eau-forte dans ses représentations, c'est de multiplier les traits, & jetter des égratignures ou des écorchures sur des surfaces, qu'il ne faut ni durcir ni brouiller. D'un autre côté, tout ce qui est d'un beau fini, & qui a un tour fini dans la nature, est plus heureusement rendu par la Gravure au Burin, que par la Gravure à l'Eau-forte.

La Gravure en manière noire.
Une autre forme est la Gravure en manière noire, dont les grands succès supposent un goût exquis. On commence par charger de petites rayes en tout sens la feuille de cuivre qu'on veut mettre en œuvre; & on se sert pour cet effet d'une petite pèle d'acier de 3 pouces de large. Des 2 lignes qui en terminent l'épaisseur, l'une est tranchante, l'autre est hérisséee de petites dents séparées par un sillon. On promène cet outil, en appuiant sur le cuivre, de haut en bas, puis de droite à gauche, ce qui en forme de petits quarrés, qu'on traverse ensuite de lignes diagonales en différents sens. Cela fait, on y trace le Dessin comme dans la Gravure à l'Eau-forte. On se sert, pour achever, de petits cizeaux, qui effacent plus ou moins du velouté pour avoir des surfaces plus ou moins blanches, & affaiblissent le rest du noir en différents degrés pour les contours & les ombres.



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