ES GLACES COULEES, & DES GLACES SOUFFLEES.


Les glaces (Jan Luyken).

Ce que c'est que Glace.
On appelle Glace, en terme de Verrerie, une superficie unie, polie, faite ordinairement du plus beau Verre.

Glaces coulées, & soufflées.
On donne le nom de Glaces coulées aux plus grandes Glaces, & celui de Glaces soufflées aux moyennes & aux petits. Les Glaces mises au tain sont les Glaces à Miroir.

Glaces de Venise.
C'est de Venise qu'on tirait autrefois les plus belles Glaces, & celles du plus grand volume. Elles se faisaient, & se font encore à Murano, petite Ile près de Venise, dont elles ont emprunté le nom qu'elles portent.

Leur prix tombé.
Ce qui a fait tomber le prix & le commerce des Glaces de Venise a été l'invention des grandes Glaces de France d'une nouvelle fabrique, qui jusqu'à prérent n'a point encore été bien imitée ailleurs. Au lieu des Glaces de 40 ou 5O pouces de hauteur, que la France recevait autrefois d'Italie, elle en envoie aujourd'hui dans toute l'Europe de 90 & même de 100 pouces.

Manufactures de Glaces en France.
Avant l'année 1665 il n'y avait point en France de Manufacture de Glaces à Miroir: ce fut le fameux Colbert, qui conçut le dessin d'y en établir une, & le Sr. Nicolas du Noyer fut le prémier entrepreneur de cele que ce Ministre y établit. Les Lettres Pattentes pour cet Etablissement sont du mois d'Octobre 1665.

Invention des Glaces coulées.
Ces Glaces soufflées avaient déjà tout le succès desiré. lorsique le Sr. Abraham Thevart proposa à la Cour une nouvelle fabrique de Glaces, dont jusqu'alors on n'avait Point entendu parler en Europe. Ces Glaces devaient se couler à la manière du Plomb, que les Plombiers réduirent en tables. Cette nouvelle invention non seulement donna la facilité d'en faire du double de la grandeur de celles qui se soufflaient à la manière de Venise; mais encore de fondrc toutes sortes de bandes & de bordures de Miroirs, de Corniches. de Chambranles, de Moulures, & autres ouvrages d'Architecture de Cristal. La Cour accepta les propofitions du Sr. Thevart, & le Roi lui accorda un Privilège par des Lettres Patentes qui sont du 14 Décembre 1688.

Magnifique Fabrique de St. Gobin.
Cette belle manufacture fut d'abord établie à Paris; mais parce que les frais y étaient très considérables. particulièrement pour la grande consommation de bois, qui est très cher dans cette Capitale, elle fut transferée à St. Gobin, ancien Château entre Laon & la Fere en Picardie, que la proximité d'une grande l'Forêt. & de la Rivière d'Oyse, qui descend à Paris, rendait plus commode pour l'exécution de la fabrique & pour l'épargne de la dépense. C'est l'unique endroit où cette entreprise de couler les Glaces sur une table de métal tant de fois tentée ailleur, ait pu réussir & se maintenir. Ces grandes Glaces s'y façonnent conjointement avec les Glaces communes ou soufflées, quoique dans des Halles différentes.

Batiment des Glaces coulées de St. Gobin.
On donne le nom de Halle au Bâtiment où l'on coule les grandes & belles Glaces de de St. Gobin. Le Four est au centre, & a bien trois toises de long sur deux & demie de large. Il est vouté en dedans à la hauteur de dix pieds. Autour du Four sont les murs de la Halle. II y a sur ces murs intérieurement d'autres petits Fours, appellés Carquaisses, qui servent à faire recuire les Glaces lorsqu'elles sont coulées. Il règne extérieurement d'autres petits Fours vis-à-vis ceux qui donnent dans la Halle. La Manufacture est composée de plusieurs Halles, d'une infinité de grandes Salles, de beaux Bâtiments, d'une Chapelle, & de grandes Cours. La situation est sur le sommet d'un petit Coteau. II y a dans la Forêt voisine de fort belles Sources.

Le Verre qui forme les Glaces est composée de Soude d'Alicante, & d'un Sable très blanc qui se tire d'une Carrière qui se trouve près de la petite Ville de Creil, d'où il se transporte dans des sacs à St. Gobin. Plus de 200 personnes sont occupées à nétoyer & trier la Soude & le Sable, pour en ôter les corps étrangers. La Soude nétoyée se concasse dans des Moulins, ensuite on la passe dans un Tamis. Le Sable ainsi tamisé, bien lavé, bien séché, est mélé avec la Soude, pour être passés ensemble dans un nouveau Tamis. Cela fait, on les met dans le Four à recuire. jusqu'à ce que la matière soit devenue blanche & légère; c'est ce qu'on nomme des Frites.

Le Four n'est échaufé qu'après qu'il a consommé 50 cordes de bois: pour lors il est en état de fondre la Soude & le Sable. On lui conserve cette chaleur en jettant continuellement du bois. Le Four ne s'éteint qu'au bout de 6 mois pour le refaire à neuf. Il contient plusieurs Pots en forme de Creusets, dans lesquels on enfourne la Soude & le Sable; & cette matière est prête à couler au bout de 36 heures.

Aprés divers procedés les Glaces se coulent sur une Table de fonte, qui a 10 pieds de long sur 5 de large. On les aplatit ensuite sous un cylindre de même métal, puis on les remet au recuit dans un Four nommé Carquaisse, d'où elles sont envoyées brutes à Paris, pour ne pas perdre les frais du poli. si elles se cassaient en chemin.

La fournée ou la quantité ordinaire de matière préparée, fournit le coulage de 18 Glaces, qui s'accomplit en 18 heures, ce qui fait une heure pour chacune. Ces 18 Glaces ne réussissent pas toujours dans la mesure dont l'on compte les faire. Il y a quelquefois des coulages où il s'en réuissit pas une à 100 pouces de haut sur 50 de large, qui est de la plus belle grandeur.

Batiment des Glaces soufflées.
La Halle des Glaces soufflées est faite de même que celle des Glaces coulées; mais elle est plus petite, & il n'y a point de Carquaisses à l'entour. Vis-à-vis le Four il y a un grand Coridor couvert. au milieu d'un Bâtiment de plus de 12 toises de long. Il règne à droite & à gauche de ce Coridor des Carquaisses, & le Four ne dure pas plus de 6 mois allumé, comme celui du coulage. Les Pots sont de même terre que ceux des Glaces coulées.

Quand la matière est fondue, l'Ouvrier qui souffle les Glaces, prend une canne de fer, percée en dedans d'un bout à l'autre, pointue par le côté qui se met dans la bouche, & élargie par le bout opposé, afin que la matière s'y attache. Il plonge cette Canne dans un des Pots, & prend une petite boule de matière de 4 pouces de diamètre, qui s'attache au bout de la Canne, et en la tournant toujours. Il la retire, & souffle un peu dans la Canne, afin que l'air grossisse cette boule de matière. Ensuite il porte sa Canne sur un baquet plein d'eau, &; arrose le bout de la Canne où est attachée la boule en la tournant, afin que par ce rafraichissement la matière fasse corps avec le bout de la Canne, pour soutenir un plus gros poids.

Cette matière, à force d'être soufflée & allongée à plusieurs reprises, forme un cylindre terminé en boule par en-bas, & en pointe vers le haut, qui ne tient à la Canne que par les différents rafraichissements qu'on lui a donnés. Quand l'Ouvrier a fait venir sa matière au point d'une égale épaisseur, le Maître avec un poinçon & le secours d'un maillet, fait un trou au centre de la boule qui termine le cylindre, Après avoir chauffé la Glace, le Maitre l'élargit. en insuflant dans le trou fait avec le poinçon de longues & larges Forces fort pointues par le bout. On coupe la masse avec des Cizeaux jurqu'à la moitié de la hauteur; on la sépare de la Canne, pour la faire porter par un Pointil, qui est un morceau de fer long de 6 pieds; on la fait rougir, & avec les Cizeaux on achève de la couper vis-à-vis de la prémière coupure, de manière que ces deux coupures ne fassent qu'une seule & même ligne

Cette opération faite, un Ouvrier reçoit la Glace sur une pelle de fer; on l'y aplatit un peu avec un petit bâton, en sorte que la coupure se trouve en dessus. On sépare la Glace du Pointil, pour la porter sur la pelle à l'ouverture de la Carquaisse allumée pour la recuite des Glaces. On retire la pelle; & la Glace rougissante petit à petit, l'Ouvrier de cette Carquaisse avec un morceau de fer élargi par le bout en forme d'un trefle, lève la coupure de la Glace pour la développer de sa forme de cylindre aplati, & la rendre unie, en la renversant sur le plancher de la Carquaisse. Le trefle insinué par dedans fait cette opération, en le poussant avec force sur la Glace dans toutes ses parties.

La Glace se trouvant bien unie, l'Ouvrier la pousse au fond de Carquaisse, où on l'arrange. Quand la Carquaisse est pleine, on la bouche comme les Carquaisses des Glaces coulées, & elle y reste aussi quinze jours à recuire ; après ce temps on retire les Glaces pour les polir.

Grandeur des Glaces soufflées.
Les Glaces soufflées, pour être parfaites, ne doivent pas avoir au delà de 45 à 50 pouces de hauteur sur une largeur proportionnée. Celles qui passent ce volume, ne peuvent avoir assez d'épaisseur pour soutenir le dégrossi.

Les Glaces préparées, comme on vient de le voir dans l'article précédent, doivent être dégrossies ou adoucies, & ensuite polies.

Degrossi ou Adouci des Glaces.
La Glace brute de grand volume, qu'on veut dégrossir est d'abord couchée horizontalement sur une pierre de liais en forme de table, & on l'y scelle en plâtre d'une façon qui la rend immobile. On en adoucit les inégalités à force de frottements par le moyen d'une Glace de moindre volume que l'on glisse par dessus. Celle-ci tient à une table de bois parfaitement nivellée. On la charge d'abord d'un poids plus ou moins fort, puis d'une roue qu'on y attache fermement avec le poids. Cette roue ne sert qu'à donner prise en tout sens à la main de l'Ouvrier, pour faire aller & venir la Glace supérieure sur la Glace dormante. Les moindres Glaces se polissent pareillement l'une sur l'autre, & de chaque face tour à tour, comme il se pratique pour les grandes. La roue est inutile pour le maniment des petites, & on la remplace par quatre poignées de bois, qui tiennent aux quatre coins du moellon de pierre, dont la table d'attache est chargée.

Le Dégrossi des grandes & des petites Glaces se pousse & se perfectionne par le recours de l'eau & du sable qu'on verse entre les Glaces. On se sert d'abord d'un assez gros sable; on l'emploie ensuite plus fin, & cette finesse augmente par degrés.

Dans la Manufacture de Paris on appelle Atelier, ou Galerie de Degrossi, le lieu où se dégrossissent les Glaces.

Le Lustre ou le Poli des Glaces.
Les Glaces ainsi adoucies passent dans les mains d'autres Ouvriers qui leur donnent le poli, ou cet éclat si vif qui fait leur perfection. Pour y réussir on se sert de la pierre de Tripoli & de celle d'Emeril parfaitement pulvérirées. L'instrument de ce travail est une planche garnie d'un morceau de feutre, & traversée par un petit rouleau, qui de ses extrémités, y forme un double manche pour la faire aller en avant, en arrière, &. en tout sens. L'Ouvrier la tient assujettie au bout d'un grand arbre de bois qui fait ressort, & facilite l'action des bras, en ramenant toujours la planche mobile vers le même point. Le lieu où Ce polissent les Glaces s'appelle l'Attelier du Poli.

Beauté des Glaces.
La beauté des Glaces consiste dans la finesse, la blancheur & le brillant.

Leurs défauts.
Leurs défauts sont les bouillons, les flaches, les taches, les pailles, & les mauvaises couleurs.

Lustrer les Glaces.
On appelle lustrer une Glace, la rechercher avec le Lustroir, qui est une petite règle de bois doublée de chapeau, dont on se sert pour enlever de la superficie jusqu'aux plus petites taches, qui sont échapées aux Polissoirs. On donne aussi à cet Instruments le nom de Molette.

Les équarir.
Les Glaces s'équarrissent, c'est-à-dire, se coupent en quarré, avec le Diamant qu'on appelle Diamant à rabot. On leur donne cette façon, ou lorsqu'elles sont encore brutes, ou après le Dégrossi, ou seulement après le Poli.

Manière de préparer les Glaces dont on veut faire des Miroirs.
On met à l'étain, ou au tain, selon le langage des Ouvriers, les Glaces dont on veut faire des Miroirs. L'invention de se servir du Vif argent pour appliquer l'étain, qui sert en quelque sorte de fond, aux Glaces des Miroirs, & qui semble y fixer les objets, doit être regardée comme une invention des Modernes. Pline parle, à la vérité, de Miroirs de verre; mais ils ne représentent pas par le moyen d'aucun fond qu'on y mit, mais seulement par le noir qu'on y mêlait dans la fonte; ce qui faisait de ce verre une espèce de Jay ou Jayet artificiel, qui ne renvoyait que très obscurément les objets quand il était poli.

Art d'employer le Vif-Argent.
L'Art d'employer le Vif-argent aux Miroirs est simple, facile, & d'une très petite dépense. La feuille d'étain, après avoir été bien battue & mise en rouleau, est déployée & mise à plat sur une pierre de liais plus grande qu'elle. On l'y étend avec une règle. On avive la feuille, en la tamponant légerement avec une pelotte trempée dans le Vif-argent. L'avivage est parfait, quand la feuille d'étain devient aussi brillante que le Vif-argent même.

L'étain avivé & bien nétoyé, on le couvre à discrétion de Vif-argent. Après quelques procedés on fait glisser horizontalement la Glace sur la couche d'étain & de Vif-argent, de manière que l'air ne puisse s'insinuer entre la surface de l'étain & celle de la Glace. Il n'y a plus alors de ressort ni d'action qui tende à les désunir, ou qui fasse équilibre avec la pression de l'air extérieur. Celui-ci agit sans résistance sur la surface extérieure de l'étain, & sur la surface extérieure de la Glace. Les deux surfaces intérieures doivent donc s'appliquer l'une à l'autre à proportion de leur poli, &; ne plus faire qu'un tout.

Diversité des Miroirs.
On donne divers noms aux Miroirs de Glace, suivant les endroits où ils se placent, ou suivant leur usage.

Les Trumeaux.
On appelle Trumeaux, de grands Miroirs plus hauts que larges. qui se mettent pour l'ordinaire entre les Croisées, d'où ils ont pris leur nom, cet espace qui sépare les Croisées s'appellant un Trumeau en terme d'Architecture. Ces Glaces n'ont qu'une bordure assez étroite.

Les Miroirs proprement dits.
Les Glaces qui conservent le nom de Miroirs, se placent au dessus des tables des apartements, & sont ordinairement ornées de Chapiteaux & de bordures.

Les Miroirs de toilette.
Les Miroirs de toilette ont des bordures très étroites, ordinairement ceintrées par le haut; & derrière ils ont un soutien mobile pour les dresser sur la table.

Les Miroirs de poche.
Les Miroirs de poche sont le plus souvent de figure ovale. On les enferme dans des boîtes d'or, d'argent, d'écailles de Tortue, de chagrin. &c.



 La peinture sur verre      Les fausses perles